Mens sana in corpore sano

Marie-Jean SAURET /

Ces dernières années, les adeptes de l’activité physique et sportive se sont multipliés, s’adonnant avec une application professionnelle qui à la gymnastique, qui au footing, qui au vélo, jusqu’au au marathon. Ils s’avèrent souvent assez indifférents au sport précisément professionnel. Mens sana in corpore sano. Faut-il aimer son corps pour aller jusqu’à le torturer ainsi ? Est-ce simplement la tentative d’en extraire une jouissance ? Le confinement souligne certains aspects de la relation que nous entretenons avec lui, puisque, comme convenu, nous en « avons » un que nous ne « sommes » pas.

Est-ce si sûr d’ailleurs ? Je songe moins à Halloween, qui fête ceux qui peuvent le laisser de côté, qu’à ceux qui finissent par s’y identifier, qui se définissent en le sculptant. Ne devrait-on pas redouter qu’ils participent de la confusion du sujet et de l’organisme, dans une version de l’individu bio-psycho-social prête à prendre du service dans un monde biopolitique ? Il n’y avait pas de divinité du corps dans la mythologie : cela n’a pas empêché tous les totalitarismes (nazi et stalinien en tête) d’ouvrir ce chemin et de lui élever un culte.

Il ne s’agit pas, évidemment, de renoncer aux bienfaits de l’activité physique, mais sans doute d’être vigilant sur les raisons qui pourraient faire qu’elle soit à ce point valorisée : c’est le biopouvoir qu’il faudrait contrer. Dans mes pires cauchemars, j’imagine un « meilleur des mondes » où nous ne sortirions pas de nos cages à lapins, équipées en tapis de courses, vélo de chambre, et divers agrès adéquats, à côté du bureau dédié au télétravail !

Or, le confinement nous révèle que des adolescents finissent par en avoir marre des écrans, les mêmes que l’on traitait d’addictés au numérique. Des habitués du télétravail qui rêvaient, eux, de pouvoir ainsi vaquer à leurs occupations professionnelles là où ils le souhaiteraient, se sont bien réjouis de ne plus voir les têtes qui ne leur convenaient pas, avant de regretter celles qui leur convenaient, au point, parfois, de perdre tout entrain à leur tâche. Il est vrai que le télétravail exige des conditions dont chacun ne dispose pas (isolement, garde d’enfant, etc.). « Le corps a ses raisons… », encore. 

20 % des actifs ont été amenés à recourir au télétravail. Durant la même période, le PIB se contracterait de 8%, les dépenses des ménages diminueraient de près de 12%, l’activité globale reculerait de 36%. 460 000 chômeurs supplémentaires amèneraient leur nombre global à 3,1 millions. Certes, ces chiffres ne sont que des indicateurs Une chose est cependant sûre : si on limite la mobilité (pas seulement la mobilisation) des corps, l’économie se met en berne !

Il y a une autre leçon, dont Lacan nous avait avertis : « De quoi nous avons peur ? Ça ne veut pas simplement dire : à partir de quoi avons-nous peur ? De quoi avons-nous peur ? De notre corps. C’est ce que manifeste ce phénomène curieux (…) que j’ai dénommé de l’angoisse. L’angoisse, c’est justement quelque chose qui se situe ailleurs dans notre corps, c’est le sentiment qui surgit de ce soupçon qui nous vient de nous réduire à notre corps » (« La troisième »). Un premier niveau de confirmation réside dans les manifestions symptomatiques apparus suite à ce face à face avec son propre corps : détresse psychologique, passage à l’acte, violence, déclenchements psychotiques, angoisse, sans parler des réactions psychosomatiques et hypochondriaques. Gageons qu’à ce niveau, il devrait être possible d’interroger, à partir de la prise au sérieux de ces symptômes, le rapport de chacun à son corps.

La remarque de Lacan se trouve encore confirmée sur un autre plan qui, dans le même temps, désamorce la possibilité de trouver au corps sa place.  Il s’agit des termes mêmes, éminemment biopolitiques, utilisés par Macron de « guerre » contre le Coronavirus, qui transforme chaque étranger en ennemi potentiel, et nous-mêmes en complice éventuel : jusqu’à gérer la situation comme une sorte de dictature sanitaire. Nous devrions redouter qu’elle passe dans la loi, ainsi que cela a eu lieu pour l’Etat d’urgence contre le terrorisme. Trump révèle à quel extrême cette logique conduit quand il parle d’une attaque par le Coronavirus chinois, pire que Pearl Arbor ou les Twins Towers. Dans les faits, il s’agirait de se mobiliser pour faire face à la pandémie dû à un virus qui n’est rien de vivant, mais un élément naturel avec  lequel il convient d’apprendre à vivre : et de prendre soin et des sujets et du lien social. Par contre, nous devons faire la guerre contre le système qui l’a rendu possible, a accentué sa gravité par la déforestation, la concentration des populations, l’exigence de déplacements mondiaux, la gestion à flux tendus des moyens de contrer la maladie, l’impréparation politique, la pénurie de médicaments, de lits d’hôpital, de tests, de masques, l’infantilisation des populations (Suède non comptée). 

En bref, se vérifie que l’Autre, c’est le corps. Avertissement sans frais : à tenter de s’en prendre à l’Autre sous les figures dans lesquelles nous l’incarnons (l’étranger, le fugitif, le handicapé, le féminin, l’enfant, le vieillard), nous allons vers notre propre autodestruction, une version de la désintrication des pulsions au bénéfice de la pulsion de mort. Heureusement, il reste de la libido, l’amour de la vie.

Marie-Jean SAURET
7 mai 2020

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