Marie MOTTE /
Le contexte actuel impose le port du masque, quel que soit le lieu de l’espace public dans lequel on se place. Celui-ci concerne donc de fait, la pratique clinique hospitalière. Ayant effectué un stage dans ce milieu, suite au premier confinement national et dans le cadre de mon Master 1 en psychologie, – et bien qu’un article ait déjà été écrit à ce sujet par Rémi Brassié, intitulé « L’analyste masqué », en mai 2020- , la question du masque continue de m’interroger.
En soulignant le regard telle une « ligne-frontière », entre les yeux et le reste du visage, nous pourrions penser qu’il vient porter au zénith la pulsion scopique et le regard, jusque dans sa dimension persécutrice pour certains. Dans un même mouvement, il occulte une partie du visage, empêchant aussi cette pulsion dans son expression, voire sa toute satisfaction. Quelque chose ne peut être vu, perçu derrière le masque, posé et redoublé entre soi et l’autre. Il crée aussi, dans ce registre, du « tous pareils », du « je ne vous avais pas reconnue avec votre masque ». L’identité et la reconnaissance de l’autre peuvent être alors altérées, ayant à s’appuyer sur une autre dimension ; celle de la voix et de la parole.
Mais quelle place possède la voix et donc qu’en est-il de la pulsion invocante, lorsque celle-ci est liée à une oreille pouvant peiner à saisir les mots ? Le siège organique de la pulsion orale est de plus camouflé, celui de la pulsion scopique souligné, ce qui traverse le champ pulsionnel et est susceptible d’y apporter, pour certains sujets, de nouvelles coordonnées. En effet, la voix semble provenir de nulle part et parfois même ne « pas provenir » lorsqu’elle se perd dans le tissu, tandis que nous rencontrons certaines difficultés à discerner, à entendre lorsque nous ne pouvons nous appuyer sur les mouvements articulatoires et mécaniques.
Plusieurs interrogations découlent de la présence de ce morceau de tissu, une fois encore, qui cache. Celles-ci sont parties du constat qu’il était possible, plus facilement, et surtout que l’on pouvait se permettre, certaines expressions ou réactions. Avec un pas de recul, je pense qu’il peut s’agir de la crainte d’y trouver somme toute, un certain confort. En effet, il vient faire rempart à ce qui peut transparaître comme expression et surprendre parfois, ou échapper et s’échapper, que ce soit en entretien ou dans l’institution. Il concerne donc le réel, de même que la relation à l’autre et se trouve susceptible de fournir des indications sur ce qui se joue dans le réel clinique.
Il est particulièrement lié, de ce fait, à la notion de contrôle. De manière générale, nous ne nous permettons pas de bâiller. Pourtant le masque semble effacer cette contrainte. Pourquoi serions-nous plus sereins de penser que nos expressions faciales soient moins sujettes à interprétation ? N’est-ce pas une manière de laisser moins de place à la projection et à l’interprétation du côté du patient, assurant là encore d’une maîtrise du réel ?
Devoir faire avec le lieu d’émission du verbal sinon bâillonné, du moins retranché derrière la barrière du tissu, et des mots plus difficilement audibles parfois (et donc moins compréhensibles), cela peut devenir pour d’autres une source de confusion. De plus, l’image et la représentation étant liées au son et donc à la voix, est impliqué ce qui se joue lors de l’entretien psychologique. Ce qui résonne symboliquement à l’oreille se teinte-t-il d’étrangeté, s’y reconnaît-il, s’entend-il de la même manière ? De façon similaire, la voix de l’autre peut accuser des lacunes ou d’un insaisissable qui s’actualise dans l’intervention (demander de répéter), l’imaginaire (recomposer une phrase) ou encore une perte. Cela demande donc de composer avec un réel et de l’imaginaire (exacerbés ?), entre réaménagements et nouvelles coordonnées cliniques, de telle sorte que si la position du clinicien ne dépend pas d’un accessoire, il existe tout de même des impacts subjectifs.
Mais ce masque ne constitue-t-il pas en outre, l’occasion de reculer derrière un « paravent », celui associé à l’imaginaire médical d’abord, mais aussi un « paravent » à une part de ce que l’on renvoie en tant que sujet, mais aussi de subjectivité ? Cela ne vient-il pas aplanir quelque chose du réel dans la clinique, de ce qui échappe, de ce qui transparaît du côté du psychologue comme du patient ? N’ai-je pas pensé que mon masque viendrait dissimuler un ou deux bâillements en entretien ? Ne me suis-je pas dit qu’il viendrait lisser ce que l’on cherche d’habitude à contrôler ? Ceci est à prendre en compte à la fois du côté du clinicien, mais aussi des patients, du fait que ce masque puisse détenir une fonction ou constituer une barrière pour chacun, comme il déshumanise une relation clinique par certains aspects, dont l’anonymat primant dans une uniformisation toute chirurgicale. Le masque s’inscrirait et agirait également, comme dit précédemment, à différents niveaux du réel clinique, tout comme il impliquerait l’imaginaire et le symbolique.
Marie MOTTE
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