Luz ZAPATA /
Reconfinement. Nous ne l’avions guère envisagé, nous étions encore dans « l’après-coup » du confinement qui était un événement inédit, non inscrit dans une série. La série commence au deux…
Le confinement nous avait obligé à vivre sans la présence, et avait réduit les autres à des images de synthèse au travers des plateformes sur internet. Ce lien s’est imposé à nous, et nous l’avons accepté tant bien que mal. Nous avons découvert les réunions, apéritifs, soutenances de mémoires, jurys d’examens, remises de diplômes, cours, séances de sport, de danse, de musique, de dessin, consultations médicales, séances d’analyse, cartels, groupes de travail, entre autres, à distance. Toutes ces activités qui pouvaient déjà avoir lieu à distance ponctuellement se sont installées dans notre quotidien, et nous y avons adhéré avec un sentiment de contentement et d’amertume à la fois.
Il est évident que les échanges sur internet nous permettent de maintenir un lien à défaut de pouvoir se rencontrer, mais la présence des images a ceci de particulier qu’elle convoque d’emblée le narcissisme : nous nous voyons parler, nous nous entendons parler. Cela ne semble pas sans conséquences. Nous voyons aussi les autres dans des images inattendues et insoupçonnées : certains soignent leur mise en scène à la façon des images télévisées, de façon stratégique parfois nous sommes devant des images construites pour persuader, convaincre, impressionner, séduire, soumettre. Et nous sommes contraints de vivre cela, au moins le temps de la connexion. D’autres nous confrontent à leur image dans l’intimité et nous font assister à la préparation et consommation de leur repas, dans le meilleur de cas. Le privé et le public se mélangent dans une distante familiarité.
Nous sommes entrées dans la « communication » malgré nous, et nous y sommes pris, tels des mouches sur une toile. Comment ne pas réduire nos échanges humains à des échanges « communicants » ? C’est un enjeu de chaque instant car l’obscène est prêt à faire irruption.
Parmi toutes ces nouvelles réalités virtuelles, il en est une qui m’a marquée profondément. L’entraineur de sport de ma jeunesse, homme sportif et encore jeune, est décédé du Covid. Triste événement qui a donné lieu à des « retrouvailles » des membres de l’équipe d’alors. Mais alors que nous étions sous le choc de ce décès, nous apprenons que les obsèques seraient diffusées sur une plateforme internet, la présence des participants étant proscrite. Un court-circuit s’est produit alors dans mon esprit car je n’arrivais pas à me résoudre à cette façon d’ « accompagner » nos morts. Cela a dépassé mes capacités de modernité. Que deviennent nos rituels de passage aux temps du corona ?
Depuis, j’en m’interroge sur cette phrase de Marie-Jean Sauret : « Le monde est plus grand que le numérique ». Très juste, à condition que chacun puisse encore faire exister le monde en dehors du numérique, à condition de ne pas hésiter à engager nos présences de corps là où c’est possible. C’est nécessaire à la vie, à la mort, aux liens. Le monde en dehors d’internet se réduit comme peau de chagrin, nous renvoyant encore et encore vers une plateforme : allez y voir si nous y sommes ! Bientôt, il nous faudra manifester pour pouvoir habiter à nouveau le monde…
Comment œuvrer pour que notre humanité ne se réduise pas à une image de synthèse ?
Comment œuvrer pour que nos liens ne se réduisent pas au nombre de connexions aux réseaux sociaux ?
Le monde est plus grand que le numérique…
Luz ZAPATA
Luz, no hay palabras. Allí donde hay un real no hay palabras.
« Comment œuvrer pour que nos liens ne se réduisent pas au nombre de connexions aux réseaux sociaux ? »
Déjà en gardant grand ouverts nos cabinets, quitte à jouer du chiffon sur les accoudoirs. Pour ce second acte du confinement, maintenir ce lien justement, autrement que par téléphone. Comme un acte de résistance à cette attaque violente du lien social.
Ensuite refuser les simulacres. Une autre façon de résister. Un bouquet de fleur, un mot manuscrit, une lettre… nous représentent cent mille fois mieux qu’une connexion à distance. De l’absence renait l’envie de se retrouver.
Enfin, avons nous vraiment été suffisamment attentif à ce lien auparavant? Obnubilés par nos jouissances individuelles, dupés par nos échanges virtuels, avons nous vu venir le tsunami de la rupture de nos liens?
Aujourd’hui, se rencontrer dans la vie réelle vaut tout l’or du monde.
Bises à toi.