Florence BRIOLAIS /
Avant de me porter volontaire comme secrétaire ponctuelle de l’Antenne « écoute psychanalytique », j’avais pris la décision de mettre en place, dès le début du confinement, des consultations (séances) au téléphone avec mes patients. Rares sont ceux qui ont préféré suspendre leur analyse durant cette période. Quoi qu’il en soit, leur choix formulé et acté, les confronta au un par un, en ce contexte si singulier de confinement, à des questions tout à fait fondamentales en regard de leur transfert à l’analyste, et à la psychanalyse.
Par exemple, questionnant son analyste pour savoir s’il va toujours bien, le patient s’assure ainsi de son ex-sistence, du semblant que l’analyste incarne pour lui.
Autre exemple, un patient critique et remet en question le nouveau dispositif ne supportant pas cette trop grande « intimité » voire familiarité via le téléphone, il diffère la poursuite de sa cure. Pour un autre, la difficulté liée aux conditions des séances renforce son désir de poursuivre sa cure, envers et contre tout.
Ce confinement/déconfinement fut assurément une expérience traversante, exceptionnelle, qui mis à l’épreuve tant le patient, porté, « précipité » à reconsidérer sa vie, sa position dans l’existence, ses choix précédemment décidés ou ajournées ; que le psychanalyste dans sa pratique, convoqué lui aussi à redoubler d’attention, à innover.
Être Secrétaire ponctuellement chaque semaine de l’Antenne « écoute psychanalytique », s’appuie sur ce même désir d’analyste, engagé à chaque nouvelle rencontre (consultation, séance), et ce temps offert pour recevoir la potentielle demande d’écoute d’un appelant, auquel je suppose un désir d’analyse.
Je préciserai, qu’il m’a paru d’emblée important de participer financièrement à la mise en place de cette Antenne et son numéro vert, pour barrer un gain potentiel de jouissance.
Notre proposition d’écoute psychanalytique – je dis « notre » car je m’y suis engagée dès le début, pleinement en accord avec la proposition de Marie-Jean Sauret – ciblait les soignants, ce qui limitait les possibilités d’appel, d’autant que les professionnels sur le front étaient pour la plupart du temps épuisés, travaillant dans l’urgence et n’ayant absolument pas la disponibilité de penser à s’adresser à un analyste.
Notre proposition s’est ensuite élargie. C’est ainsi que j’ai pu, en tant que secrétaire ponctuelle, recevoir l’appel de Mr O. Cette expérience d’une seule et unique consultation téléphonique avec cet appelant, fut marquante et me laissa cette impression qu’un réel travail s’était engagé et qu’il aurait pu se poursuivre au téléphone.
Pour tenir cette place de « secrétaire de l’Antenne, je supposais que le secrétaire recevant l’appel, est prêt à accueillir une plainte, à discerner une demande qui peut se fait entendre, voire, se préciser au cours de ce premier échange. Celui-ci sera conduit afin qu’un relais soit possible, c’est-à-dire que le patient puisse s’adresser à un psychanalyste – inscrit dans la liste des volontaires.
Je reçu donc l’appel de Mr O. après qu’il se soit assuré qu’il s’agissait bien de l’antenne « écoute psychanalytique », celle dont une amie lui avait parlé, sa voix hésitante au début, fut par la suite plus assurée. Mr O. n’était pas sur le versant de la plainte, c’est-à-dire qu’il n’en restait pas à un état d’expression de la douleur et ne chargeait pas un Autre de la cause de son embarras, ni même le contexte de confinement, même si celui-ci participait sans doute, à accentuer ce qu’il éprouvait.
Il déplia ce qui l’avait amené à appeler l’Antenne et le pourquoi de son appel. Ce confinement refaisait surgir pour lui « des choses très personnelles » qui le convoquaient à se questionner à nouveau sur ce dont il croyait s’être libéré par un travail d’introspection et de recherches personnelles sur l’histoire familiale – bien suffisantes pensait-il alors – pour comprendre sa position dans son existence et ses difficultés à s’engager avec une femme. Cependant, s’étant décidé depuis peu à vivre avec la femme qu’il aimait, l’intimité permanente imposée par le confinement, venait d’ouvrir une nouvelle brèche dans ce qu’il croyait avoir résolu, conclu. Il se retrouvait à nouveau « très embarrassé ». Mais cette fois « il osait » appeler ce numéro de l’Antenne « écoute psychanalytique », signifiant suscitant l’effet de « sujet supposé savoir », renforcé par la recommandation de son amie.
Cette offre [1] d’écoute est à même d’autoriser la mise en place d’un dispositif de parole. La parole de celui qui appelle tourne autour de ce qui fait énigme, ne se saisit pas. Et pour Mr. O, cet embarras dont il témoignait et qui l’avait toujours conduit jusque-là à passer à l’acte en mettant un terme à sa relation ; cette fois, il suspendait sa décision et s’adressait à cet Autre.
La communication téléphonique fut assez longue, il y avait une urgence à dire et sa demande [2] au sens analytique se dépliait. Il avouait un insupportable et une impuissance, incarnant le versant symptôme et son caractère de division. Le souhait de changement de Mr. O, lié à cet appel à l’Autre, au savoir qu’il lui suppose, signe la demande dans sa dimension clinique analytique.
Ce qui se faisait entendre de singulier, manifestation du sujet de l’énonciation, et qui s’élaborait au cours de cette communication téléphonique, a orienté la façon dont j’ai « conduit » cet entretien, pariant qu’une amorce de transfert préexiste [3] à toute appel adressé auprès d’un psychanalyste et par déplacement, ici, sur cette Antenne « écoute psychanalytique ». L’appelant étant celui qui demande, il est le lieu du manque. L’Antenne est un lieu « supposé savoir », sur ce dont l’appelant manque.
Que l’inconscient implique qu’on l’écoute pose, dès le départ de la psychanalyse, l’existence d’un Autre qui par sa présence, propose justement cette écoute. Accuser réception de ce qui est énoncé donne la possibilité à l’inconscient d’être entendu.
Le déroulé de cette parole libre et adressée, sa dynamique développent ce transfert pré- existant, le nourrit. Ce transfert est essentiel à l’ouverture de l’inconscient et l’émergence de « matériel signifiant ». La représentation inconsciente s’allie à quelques représentations banales qui la dissimulent, mais sur lesquelles elle transfère son intensité. Il y a transfert de représentations, mouvements de connexion et de substitution. Ainsi l’appelant qui dit quelque chose dit aussi autre chose à son insu.
De l’intensité de ce qui s’énonçait au cours de cet entretien téléphonique, il m’a paru nécessaire d’orienter d’emblée cette personne vers un psychanalyste habitant dans sa région, consultable certes au téléphone, mais par la suite à son cabinet, dès que la situation contextuelle le permettrait. Ne se prenant ni pour l’Autre du savoir, puisqu’il répond avec ce qu’il ne sait pas ; ni pour l’Autre de l’amour, puisqu’il donne semblant à l’objet perdu – le psychanalyste animé par un désir sans cause et sans demande, soutenu dans sa pratique par le discours analytique, œuvre à favoriser chez l’analysant, le processus de remémoration et de répétition, le questionnement sur la jouissance en jeu, le désir et ses paradoxes.
La question de ce transfert préexistant et son déploiement au fil de cette parole libre, adressée – à celui qui a fait l’offre de l’accueillir – me parait centrale et dès les premiers instants de l’accueil d’un appelant « candidat- analysant ou de quiconque » par un secrétaire soutenu par le discours psychanalytique. C’est à mon sens ce qui distingue cette Antenne et son secrétariat, de toutes les autres propositions qu’elles soient psychothérapeutiques, éducatives, sociologiques, philosophiques, religieuses, psychologiques, non référencées au dispositif freudien.
Florence BRIOLAIS
Bordeaux le 24 juillet 2020
[1] Offrir, du latin offerre. Présenter, proposer quelque chose à quelqu’un, le mettre à sa disposition.
[2] Demander, du latin demandare, confier, faire savoir ce que l’on souhaite de quelqu’un.
[3] Pierre Bruno : « Aucun commencement, jamais » « … en effet l’essentiel est que, dès le premier contact du candidat – analysant, ou de quiconque, avec un analyste, celui-ci institue d’emblée le discours de l’analyste en tant qu’offre ce qui ne veut pas dire qu’il doive se désintéresser des modalités de présentation de cette offre. » Prononcé lors d’une journée d’Etude à Marseille en 2017, et article sous l’intitulé « Aucun commencement, jamais » paru en 2018 dans Psychanalyse yetu n° 41, 2018, p. 5-11.
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