Le confinement : Une vie en miroir de celle du sujet migrant ?

Clémence LE CHAPELAIN /

Psychologue clinicienne stagiaire au sein d’un service dédié à la prise en charge des publics précaires, je reçois des sujets migrants, ainsi que des sujets sans domicile fixe dans le cadre d’entretiens de suivis psychologique.  Ces personnes précaires sont souvent oubliées, comme inexistants ou invisibles dans notre société. Pourtant, ils existent, ils sont là, et sont confrontés à des situations d’isolement toute l’année. Le confinement fut une période difficile pour beaucoup de sujets non précaires. Privés de leur emploi, parfois même de leur famille, de tout lien social, beaucoup semblent avoir souffert de solitude. Cette crise sanitaire semble tous nous avoir plongé dans l’incertitude, multipliant doutes et angoisses face à cette dernière. Mais, cette situation ne ressemble-t-elle pas à la situation quotidienne des publics précaires ? Notamment celle des sujets migrants ? Une situation incertaine et particulièrement angoissante. 

Des sujets plongés dans l’incertitude quant à l’avenir tout au long de l’année. Le parcours d’asile est une épreuve incertaine, tout comme l’est l’avenir sur la terre d’accueil. Le processus de demande d’asile est éprouvant, par l’angoisse qu’il génère étant donné les délais d’attente, mais aussi l’instabilité qu’il engendre. Chaque étape dans le processus provoque des souffrances, de l’angoisse et des conséquences lourdes sur le psychisme. L’entretien à l’OFPRA tout d’abord, où ces sujets se doivent de narrer le récit de leurs histoires, avec cette peur omniprésente de ne pas être cru, cette suspicion constante qui pèse sur eux, et provoque des angoisses massives. Une obligation d’évoquer l’impossible, de mettre des mots sur des choses innommables, avec le risque réel de faire effraction à nouveau. Puis, l’attente semble interminable. Une attente de plusieurs mois, durant laquelle aucune possibilité de projection ne semble possible, tant l’avenir est incertain. Une attente qui provoque insécurité, angoisse et peut conduire à des effondrements psychiques. Puis, parfois, des recours, qui ne font que rallonger le temps d’attente et d’angoisse. Toute cette attente se vit, de plus, dans des situations économiques et sociales souvent très difficiles. Logés dans des hôtels et des centres d’hébergement à plusieurs, auprès de personnes qu’ils ne connaissent pas, déplacés de ville en ville, obligés de s’adapter rapidement à des changements d’environnement, qui ne font qu’accentuer les angoisses. 

Nous pouvons alors nous interroger sur cette question de l’incertitude et de l’angoisse qu’elle génère. Elle semble oubliée, parfois même déniée, lorsqu’elle touche ces publics migrants. Et alors que ce sentiment d’incertitude, de doutes, semble gagner la population et la société entière dans cette période de crise sanitaire, alors que tous peuvent ressentir ce sentiment pesant, voir même effrayant et angoissant, nous pouvons enfin, ne serais-ce qu’imaginer, nous approcher quelque peu de ce que ressentent ces sujets exilés. Cette incertitude, nous l’avons vécue durant deux mois. Deux mois durant lesquels notre avenir nous a semblé incertain, conditionné par l’avancée du virus et les recommandations politiques. Quand allons-nous reprendre l’école ? Quand mon commerce va-t-il pouvoir réouvrir ? Vais-je pouvoir partir à l’étranger en vacances cet été ? Vais-je passer mes examens ?  Des questions relatives à notre avenir, conditionné par des réponses politiques. Nous avons été soumis à des échéances en termes de date de déconfinement, nous avons programmé notre futur en fonction de ces échéances, ce qui nous a paru compliqué, mais nous l’avons relativisé, puisque nous savions que ce temps ne durerait pas. Cette incertitude que nous avons vécue de chez nous, devant notre télé à scruter les nouvelles du virus, souvent en famille, en télétravail. Coupés du monde physiquement, mais finalement très proches les uns des autres via les réseaux sociaux. 

Imaginons alors la vie de ces réfugiés, suspendus à des échéances administratives qui contrôlent leur vie durant des années, une incertitude totale qui les empêche de pouvoir avoir des projets, les empêche d’envisager la vie sereinement, mais surtout les empêche de s’insérer, corollée à des angoisses dues au fait d’être éloigné de ses proches, de ses enfants ou de ses parents, sans pouvoir n’avoir aucune nouvelle de ces derniers. Obligés de vivre dans une ville qu’ils ne connaissent pas, auprès de personnes issues d’une culture différente, parfois opposée à la leur, devant apprendre des fonctionnements et des manières de vivre différentes, mais aussi, et surtout, apprendre une langue qu’ils ne connaissent pas. 

Le confinement pour ces personnes réfugiées n’a pas arrangé les choses. Il n’a fait, à mon sens, qu’augmenter les facteurs de stress et d’angoisses, déjà très présents. Les institutions se sont mises en sommeil, les centres d’hébergements ont cessé de recevoir de nouveaux arrivants, laissant des centaines de réfugiés confinés à l’extérieur, sans réponses. Peut-être ce confinement, cette expérience unique et inédite nous aura-t-elle, et nous permettra-t-elle à l’avenir, de nous interroger sur les situations dramatiques dans lesquelles se trouvent des centaines de milliers de personnes sur notre territoire et partout ailleurs ? Des personnes qui ont quitté leur pays pour fuir la mort, la pauvreté ou la répression, et qui migrent à la recherche d’un exil psychique. Pourra-t-on à l’avenir se préoccuper davantage de ces situations d’isolement et d’incertitude dans lesquelles sont plongées ces personnes, à l’image de la situation que nous avons vécu ces dernières semaines ?

Clémence LE CHAPELAIN
Le 2 juin 2020

Un commentaire sur “Le confinement : Une vie en miroir de celle du sujet migrant ?

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  1. Merci Clémence Le Chapelain de ce rappel : en effet nous sommes aussi responsables de ce que nous faisons de cette question des hommes et des femmes qui vivent cette précarité!

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