Marie-Hélène LE DUFF /
Une romancière italienne écrit, le 9 avril : « Après le temps des concerts sur les balcons, la première réaction énergique et parfois moqueuse des Italiens face au virus a laissé place à une consternation léthargique, une confusion muette… Maintenant, ce long tunnel de confinement commence à ressembler à une hibernation. » (Ottavia Casagrande, L’Obs) Oui, elle résume bien cette désorientation qui nous vient dans un aménagement soudainement différent de ce que nous appelons le temps.
Le texte de Luz Zapata, du 5 avril dernier « L’amorce d’une révolution », en interrogeant le dedans, le dehors, le bord et les limites, vient m’aider à mettre ces questions au travail.
Dedans, dehors, expériences premières. Qu’est-ce qui est moi, de moi, en moi, en dehors de moi ? Qu’est-ce que dedans, qu’est-ce que dehors ? La première expérience de dedans et dehors pour l’enfant, c’est la découverte de son enveloppe corporelle, découverte qu’il fait à travers la parole de la mère et les soins qu’il en reçoit. Limites progressives de moi, de toi et d’un monde tiers. Découverte d’un monde, construction d’un monde de langage, à travers l’adresse de l’autre. Construction progressive d’un dedans et d’un dehors. Le corps humain est un corps de parole, l’espace humain est un espace de parole, qui n’existe que par la construction qu’en font les hommes, à chaque temps de l’histoire, dans chaque lieu sur terre. Constructions toujours provisoires (même si les civilisations peuvent durer longtemps) toujours fragiles, toujours mortelles.
Dedans, dehors, cela pose aussi la question de ce qui est possible, permis dans les différents espaces sociaux, privés, publics, familiaux, intimes… Evidemment, si ce n’est pas autorisé, il faut bien que le parlêtre se demande pourquoi ce n’est pas possible, pas permis, qui pose la limite, dans quel but… Qui définit le bord ? Est-ce juste, est-ce injuste ? Et toute limite posée a pour effet premier de donner envie de la franchir, envie d’aller voir ailleurs. Qu’y a-t-il derrière l’horizon, là où le soleil paraît et disparaît ? Faire le tour du monde : qui n’y a pas pensé, qui n’en a pas rêvé ? L’enfant commence par faire le tour de sa chambre, de sa maison, de son monde. Et puis ce monde s’élargit. Aujourd’hui, on ne rêve plus de faire le tour du monde, on le fait à grande vitesse. Alors on rêve de Mars et on peut penser que ce rêve se réalisera un jour ou l’autre…
Si les premiers hommes sont allés voir ailleurs, on se dit que c’était d’abord pour survivre, se nourrir, s’abriter. Mais ce n’est sûrement pas seulement pour ça, car ils ont laissé d’admirables peintures qui témoignaient d’autre chose, de la quête d’un autre horizon. Et de tous temps, certains se sont lancés dans de folles aventures pour découvrir ce qu’il y avait derrière l’horizon familier, ils ont toujours voulu savoir… Cet horizon toujours insaisissable au parlêtre aurait-il à voir avec l’indicible, l’intraitable et la jouissance autre ?
Aujourd’hui 11 mai, nous voilà de nouveau autorisés à sortir, sans avoir à justifier d’un motif valable. L’idée m’est venue que nous allions sortir comme les escargots après la pluie, c’est vrai, on est en Bretagne… Elles sont gentilles, ces petites bêtes. Nous allons sortir avec la même surprise et la même prudence. Et tout de suite rentrer dans la coquille s’il y a danger. L’escargot, c’est comme la répétition, ça tourne en rond ! Mais à chaque fois, c’est un autre rond : voilà où c’est peut-être encourageant. Lacan nous rappelle comment nous tournons en rond ou plutôt il nous dit comment nous allons sur notre erre. Ici encore, cela nous est familier, ces bateaux qui vont sur leur erre, si par hasard leur ancre défaille. Il critique ainsi notre idée si familière d’une vie linéaire, un début, une fin, une route, courage, on avance !
« Les non-dupes errent, ça sonne drôlement, hein ? Errer résulte de la convergence de error, erreur, avec quelque chose qui n’a rien à faire et qui est apparenté à cette erre dont je vous parlais tout à l’heure et qui est strictement le rapport avec le verbe iterare. Iterare est là uniquement pour iter, ce qui veut dire voyage. C’est pour ça que le chevalier errant est simplement un chevalier itinérant. Seulement errer vient de iterare, qui n’a rien à faire avec un voyage puisque ça veut dire répéter, (de iterum, re) ! Néanmoins, on se sert de cet iterare que pour ce qu’il ne veut pas dire, c’est-à-dire itinenare comme le démontrent les développements qu’on a donnés à ce verbe errer au sens d’errance, c’est-à-dire en faisant du chevalier errant un chevalier itinérant. »
Alors, quels chevaliers sommes-nous aujourd’hui, errants en compagnie de la Covid 19, puisque, c’est décidé, l’Académie française a levé le doute : c’est féminin…
Marie-Hélène LE DUFF
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