Luz ZAPATA /
Le confinement a fait émerger des nouvelles logiques du rapport à l’espace et au temps. Nos capacités d’invention ont été mises à l’épreuve et nous nous sommes mis à réinventer des nouvelles frontières, un nouvel intérieur, un nouvel extérieur, un ailleurs ici, un ici ailleurs, un nouveau lien social, parfois même un nouvel amour. Cette liste, si on voit le côté éclairé du confinement. Mais il y a aussi le côté sombre, et nous constatons que certains au contraire ont trouvé dans ce confinement les raisons de perdre leurs limites, d’exploser leur intérieur, de « tirar la casa por la ventana » (« jeter la maison par la fenêtre ») comme on dirait en espagnol. C’est qu’à force d’être confinés contraints, « concons » selon la nouvelle expression consacrée, à force d’être au bout du bout, il faut bien que quelque chose se retourne qui nous montre que nous sommes « concernés ».
Le retournement que nous rencontrons par ce temps de confinement, ressemble à une sorte de retournement sauvage, de court-circuit. Quel lien entre le retournement que peut produire une analyse lorsque, parcourant notre histoire comme sur une bande de Moebius, un nouveau sujet émerge de la coupure, et par-là même un changement de bord ? Bien sûr, les nouvelles concernant les modalités du retournement nous parviennent par les sujets qui ont continué à prendre appui sur leur parole pendant ce confinement. Qu’en est-il des autres, de ceux qui sont mis à bout sans pouvoir en parler ? Si les sujets qui peuvent parler, analyser, témoignent de ces dérèglements, qu’en est-t-il des autres ? Comment traitent-t-ils ce confinement ?
Une des patientes ayant à peine commencé les séances, avait prévu, juste avant le confinement, de partir un mois chez ses parents dans le sud de la France. « Je vous téléphone à mon retour pour prendre rendez-vous », m’avait-t-elle dit. Bloquée par le confinement et constatant qu’elle se trouvait en réalité bloquée dans sa chambre d’enfant, elle appelle afin d’entreprendre par téléphone le travail qu’elle envisageait de commencer à son retour. Cette distance a précipité sa demande, et lui a montré avec acuité que ce qu’elle considérait jusqu’à présent comme une impossibilité de choisir, était en réalité un choix par la fuite. Elle aurait pu rentrer, d’une façon ou d’une autre au début du confinement, mais non, elle a consenti avec une résignation enthousiaste de rester bloquée, dit-elle, et de cette chambre d’enfant elle demande à parler.
Une autre patiente avait fait le choix de se confiner chez son père et sa belle-mère. D’habitude c’est une cohabitation difficile car elle cherche son père là où il ne répond pas. Craignant la situation, mais poussée par l’idée qu’elle ne pouvait pas faire autrement, elle se confine dans cet univers où elle attend que son père lui accorde une place qui ne vient pas. Après trois semaines, excédée par la situation, elle décide de repartir dans son lieu de colocation, décision qui la soulage. Elle réalise qu’elle attend trop de son père, et qu’il ne pourra pas la sauver, pas plus que sa mère d’ailleurs, mais y-a-t-il quelqu’un qui peut la sauver ? se demande-t-elle avec une sorte de lucidité mélancolique. Lorsqu’elle téléphone pour poursuivre les séances de son nouveau lieu de confinement, elle dit : « c’est étrange, j’ai l’impression de devoir parcourir une plus grande distance pour vous téléphoner d’ici que de chez mon père ». Cette phrase, que je trouve étonnante dans sa vérité, témoigne d’un écart à peine sensible, un écart grâce auquel elle commence à réaliser qu’elle pourrait bien recommencer à faire des choses pour elle, et pas que pour son père.
Un changement grouille, s’annonce, les sujets forgent parfois dans ce confinement la fissure à travers laquelle une nouvelle conscience s’esquisse. Au bout du confinement, arriverons-nous à rebrousser un tant soit peu le symptôme en effet de création ? Il est déjà sans doute le cas pour certains sujets. L’inventivité de chacun se dévoile et les ressources individuelles et collectives pour faire face à l’adversité ne font pas défaut par ce temps. Les nouvelles solidarités, les nouveaux modes de vie et d’appropriation de l’espace nous surprennent chaque jour. Si le sujet est celui qui dit « non », et qui tente à chaque fois de trouver une issue à sa situation, il ne le fait pas sans l’autre, et sans le support que le lien social lui procure. Mais, force est de constater que le politique se sert de cette capacité dite de « résilience », considérée de façon utilitariste comme une capacité que chacun aurait et pourrait mettre à disposition du collectif à l’occasion des catastrophes, quelles qu’elles soient. [1] Le sujet avec ses capacités d’invention a bon dos par ce temps, on s’est habitué à lui faire supporter l’insupportable et le bercer dans l’autosatisfaction de ses capacités si louables qu’exemplaires. La résilience semble s’annoncer comme le nouveau visage de la servitude volontaire. C’est sans compter sur le fait que dans le monde de « concons » masqués et « libres » la création n’a pas dit son dernier mot, et n’est sans doute pas prête à se laisser enfermer dans la résilience d’état.
Luz ZAPATA
3 mai 2020
[1] Cf. Brassié, R. « Opération résilience » [en ligne]. Journal clinique, 17 avril 2020. Disponible sur : https://journalclinique.fr/2020/04/17/operation-resilience-psychanalyse-et-politique/
La clinique dont témoigne les analysants évoqués est précieuses et en effet très intéressante sur la façon dont les sujets trouvent une issue à la situation… Et je partage la critique de la résilience, dont on oublie trop sans doute que c’est un terme emprunté à la physique : qui réduit le sujet à un objet, même si l’on tente d’en faire un concept psychologique optimiste. Ne vous tracassez pas, cela ira forcément mieux demain. Il vaudrait mieux s’interroger sur ce qui fait la résistance (physique pour physique) du sujet et lui restitue sa capacité d’acte avec la responsabilité de sa position…