Luz ZAPATA /
La situation de confinement nous confronte à un des enjeux majeurs du lien analytique : celui de la présence et de l’absence. C’est quoi être « présent » pour ses analysants ? Il me semble qu’après les ajustements et hésitations dans la mise en place des séances par téléphone, c’est de la présence du désir de l’analyste dont il est question.
Freud et Lacan n’ont pas la même façon de traiter la question du transfert. Lacan fera de la présence du désir de l’analyste le point pivot du transfert et il va insister sur l’idée que le transfert est un phénomène où sont inclus ensemble le sujet et le psychanalyste. En effet, du seul fait qu’il y a transfert, dit Lacan, « nous sommes impliqués dans la position d’être celui qui contient l’agalma, l’objet fondamental dont il s’agit dans l’analyse du sujet ». Si l’analyste est embarqué avec le sujet dans l’aventure analytique, c’est seulement en tant que l’analyste sait ce qu’est le désir, mais qu’il ne sait pas ce que le sujet désire. [1]
Lacan va proposer une autre issue à l’analyse du transfert que celle proposée par Freud. Il propose pour cela d’interroger ce qu’est, pendant l’analyse, l’analyste pour l’analysant. Pour lui : « Le transfert est présence du passé. Mais la présence de l’analyste implique un désir au présent, et c’est ce désir qui articule le transfert ». De ce point de vue, le transfert se structure autour de la position de deux désirs : le désir de l’analysant en présence du désir de l’analyste.
La mise en question de cette polarité du transfert ne semble avoir d’autre objectif que celui de mettre l’accent sur la fonction du désir, non pas seulement chez l’analysant, mais essentiellement chez l’analyste.
« C’est à ce point de rendez-vous que l’analyste est attendu. En tant que l’analyste est supposé savoir, il est supposé aussi partir à la rencontre du désir inconscient. […] le désir est l’axe, le pivot, le manche, le marteau, grâce à quoi s’applique l’élément force, l’inertie, qu’il y a derrière ce qui se formule d’abord, dans le discours du patient, en demande, à savoir le transfert. L’axe, le point commun de cette double hache, c’est le désir de l’analyste, que je désigne ici comme une fonction essentielle. » [2]
Derrière l’amour de transfert, il s’agit du lien du désir de l’analyste au désir de l’analysant, de la rencontre de ces deux désirs. Dans ce rapport du désir au désir comme le dit Lacan, quelque chose est conservé de l’aliénation. Lacan propose ainsi un remaniement de la question du transfert en y situant comme point pivot ce qu’il appelle le désir de l’analyste.
Si le point pivot du transfert est le désir de l’analyste, le transfert semble devoir se soutenir du côté de l’analysant d’un certain rapport à l’objet, comme aliénation. De quel objet se soutient le transfert pour le sujet dans ce lien téléphonique inhabituel ? Les séances par téléphone mettent au centre du lien analytique la voix, et non pas la parole. Et il me semble que dans ces séances d’un genre nouveau, il faut aller chercher la parole par-delà la voix. La parole par-delà l’objet. Mais pour couper la voix de la parole, encore faut-il trouver, comme le disait Lacan, la paire de ciseaux qu’il convient…
Comme quoi il n’y a pas de broderie sans coupure.
Luz ZAPATA
24 avril 2020
[1] Cf. Lacan, J. Le transfert, p. 234.
[2] Lacan, J. Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, p. 213.
Merci Luz pour ce billet qui insiste sur la question du désir de l’analyste.
Le confinement imposé est venu remettre chacun d’entre nous face à cette question, comme les séances par téléphone. Ne serait-ce pas alors une « vertue » du réel auquel nous avons affaire?
Par ailleurs, ne sommes-nous pas condamnés à la perpétuité de cette question?
Oui Rémi, le désir est toujours une question à renouveler, y compris le désir de l’analyste. J’ai l’impression que les temps « extraordinaires » dévoilent le paradoxe propre au sujet du désir : un réel s’impose et nous pousse en même temps à un choix. Sur quoi repose-t-il ? Et ce désir, comment le soutenons-nous ? C’est sans doute une question qui concerne nos liens et l’éthique de la psychanalyse…
Bonjour,
Vous partez d’une question simple : » c’est quoi être présent pour ses analysants ? .
Je pense que la première distinction passe par le dispositif: face à face ou fauteuil divan. Parce que s’y ajoute le regard, le face à face suppose une autre forme de présence, particulièrement selon les structures. Ce serait à développer mais je crois que nous en avons tous l’expérience.
Je pense que la présence de l’analyste est d’abord et surtout sa présence physique, réelle d’où l’on peut inférer le désir surtout si l’on considère qu’il n’y a pas de présence sans désir qui la soutienne.
C’est la raison pour laquelle il n’y a pas à mon sens de psychanalyse à distance et donc par téléphone, quoique nous essayions de mettre en place dans ce moment particulier. Nous maintenons un lien, ce n’est pas négligeable mais nous nous heurtons, c’est en tout cas mon expérience actuelle, à la question de la présence de l’analyste . Que faisons nous de plus ou de différent pour marquer notre présence alors que précisément nous sommes absent ?
Cordialement,
Y. Nougué
Merci Yves Nougué pour ce commentaire qui relance le travail : « il n’y a pas de psychanalyse à distance », j’aimerais beaucoup vous lire davantage !