C’est peut-être un confinement…

Marie Hélène LE DUFF /

Jour 11, 27 mars 2020

Je remercie beaucoup Luz qui me permet de participer aux échanges qu’elle a initiés dans son journal clinique.

Avant cela, j’avais commencé à écrire ce journal du confinement à l’invitation de l’Ecole Psychanalytique de Bretagne et je le continue donc.

Cette crise inédite confronte chacun de nous à sa réaction singulière et les contributions déjà en ligne le montrent bien. Elle interroge chacun, au moment précis où il en est de sa vie et de son histoire…

Si j’excepte ceux qui partagent le même lieu de confinement, il nous reste, pour échanger, à part l’écrit, un seul outil, le téléphone. Et parfois aussi les WhatsApp, Skype et autres, qui ajoutent l’image… Etrange situation. Dans la rue (j’y vais si peu, si peu…) et même dans la campagne, on croise, à longs intervalles, quelqu’un qui promène son chien, quelqu’un qui marche, un joggeur, un couple, une femme et des enfants… Tout ça à bonne distance et le maximum échangé, c’est : bonjour ! 

Donc, au téléphone, outil principal d’échange, on se demande : ça va ? Oui, ça va, oui je vais bien. L’interlocuteur aussi, en général. Car passée la sidération des premiers jours, mes proches et mes amis ont pris acte de ce qui s’imposait à nous. 

Mais ce n’est pas vrai, mais non, ça ne va pas, ça ne va pas du tout ! Passons sur la formule qui nous permet d’entrer en relation les uns avec les autres. Les Romains l’employaient déjà : Salve, ave, vale, toutes formules assez proches… 

Mais non, ça ne va pas, ni pour toi, ni pour moi ! Ça ne va pas, ce décret qui m’assigne à domicile du fait de mon âge, puisque pour moi, c’est la raison principale. Si je n’avais pas été d’emblée, classée « sujet à risque », peut-être aurais-je trouvé à employer ma bonne volonté. Pour d’autres, ce sont les enfants à garder, l’arrêt forcé de l’activité professionnelle. Et à l’extrême opposé, il y a ceux qui travaillent davantage, dans des conditions risquées, pour de petits salaires… Oui, vraiment, étrange situation.

Ce confinement renvoie aux méthodes employées lors des grandes épidémies que nous avions crues révolues. Enfin pour ma part, je l’avais cru, c’était un impossible dans l’état actuel de notre civilisation, de nos connaissances. Un inimaginable.

Cette pandémie vient cueillir à froid un certain nombre d’entre nous, moi la première. Avais-je entendu parler de virus inconnus et incontrôlables ? Oui certainement, mais j’étais intimement persuadée (cette croyance spontanée qu’on a, cette croyance jamais questionnée, cette croyance que je respire avec l’air du temps…) que l’état actuel des connaissances scientifiques nous éviterait ce à quoi nous assistons… Le SRAS de 2003, la grippe H1 N1 de 2009 et ses polémiques autour des masques et des vaccins… Beaucoup d’approximations et d’impréparation, de critiques a posteriori. A l’époque, je n’ai pas éprouvé de vraie crainte. Ebola : épidémie effrayante, mais très circonscrite et que l’on commence à maîtriser maintenant.

Nous commençons tous à expérimenter ce que confinement veut dire. Cela veut dire violence et emprisonnement soft. Pas de clés ni de gardiens, certes, mais chacun est invité à être son propre gardien. Au nom de quoi ? Au nom de la loi française, incarnée par ses représentants légitimes. En abordant les choses de cette façon, il n’y a pas grande objection à faire. On nous dit que, pour les scientifiques, c’est la meilleure solution… On ne nous dit pas pour qui, en priorité, cette solution est la meilleure, à quelles conditions elle est efficace, quels en seront les effets sur les citoyens, dans leur vie privée, dans leur vie publique…

Jour 12, 28 mars

Aujourd’hui, il faut que j’aille faire mes courses hebdomadaires, j’en ai retardé autant que possible l’échéance et je ne peux plus reporter. Je choisis d’y aller à midi. Le Super U a organisé entrées et sorties, distances d’attente. C’est très calme et les rayons sont normalement approvisionnés. Mais la pharmacie attenante ressemble à un camp retranché. Rassemblant mon courage, je m’en approche pour acheter l’unique boîte de paracétamol que je peux demander. Impression pénible. Ce monde familier, ce monde quotidien qui devient étrange et presque menaçant…

Cette crise nous convoque un par un et chacun de nous répond singulièrement. Ah, me dit une amie au téléphone, c’est plus difficile que je n’aurais pensé… Tout événement de la vie vient nous surprendre. A défaut de cette surprise, est-ce un évènement, n’est-ce pas une habitude, un rite, je n’y suis pas vraiment… Vais-je dire qu’on appelle ça le quotidien ? Peut-être et cela nous est nécessaire. Mais vient l’évènement, petit ou grand, qui nous réveille. Il, elle n’est pas au rendez-vous, le train a du retard, je reçois un cadeau inattendu qui me fait un immense plaisir… Et voilà le sujet convoqué à être présent, à répondre, à dire ou à se taire. Nul doute que les évènements actuels nous réveillent. Ils réveillent notre question, notre symptôme, nos peurs et nos espoirs.

Le Réel qui vient nous priver de parole et de pensée est là. C’était impossible et pourtant c’est là. Les échanges de paroles, d’écrits nous permettent de nous remettre en marche. Nous faisons le constat d’une réalité, celle des contaminations, certaines graves, d’autres non. Nous assistons ou nous prenons part à l’effort de chacun pour faire face à la situation. Nous essayons, pour nous-mêmes et pour les autres, de nous extraire de l’immédiat, de couper la jouissance qui nous priverait de parole. Travail nécessaire pour soi, pour l’autre, pour les autres.

Marie-Hélène LE DUFF

Un commentaire sur “C’est peut-être un confinement…

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  1. Chère Marie-Hélène, le passage de ton texte où tu évoques les virus précédents, notamment le premier coronavirus, m’a fait penser à cet article d’Alain Badiou : il nous rappelle que cette épidémie n’est « rien de nouveau sous le ciel contemporain ». En quelque sorte, il nous invite à nous réveiller d’un coup de massue d’un réel qui aurait pu et dû être exploré ! : https://qg.media/2020/03/26/sur-la-situation-epidemique-par-alain-badiou/
    Merci à Sidi Askofaré pour le partage de cet article.

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