Marie-Jean SAURET /
Bonjour à chacune et chacun,
Pour avoir participé à plusieurs débats en ligne qui ont débouché sur des phénomènes ingérables du fait des quiproquos auxquels l’écrit sans la voix prête, j’y suis plutôt réticent. Un blog me parait limiter la difficulté, que j’y ai pourtant aussi rencontrée. Je croise les doigts. Néanmoins, à l’invitation de Luz Zapata, je me risque à partir d’un billet adressé au départ aux initiateurs d’une Antenne d’écoute. Il s’agissait de répondre à une invitation moins de bilan (l’heure n’a pas sonné) que de livrer quelques leçons de l’expérience…
Dès le début du confinement, après en avoir lancé l’idée au sein du Pari de Lacan, un certain nombre de collègues ont pris l’initiative d’un numéro d’écoute par des psychanalystes, au départ à destination des soignants et de ceux qu’ils souhaiteraient y orienter. Comme toujours, l’offre précède la demande : c’est donc de là que nous apprendrons…
Du fait de l’appartenance de quasiment tous les participants du début à une même association, le dispositif s’est tout de suite étendu aux diverses régions où elle est représentée. Plusieurs raisons à cette offre : a) la première : rendre la psychanalyse présente et visible et contribuer à ce qu’elle accueille la Cité ; b) la seconde : il ne nous a pas semblé en voyant l’offre de la FEP (à laquelle certains d’entre nous ont également répondu) qu’il y aurait trop d’initiatives en ce sens, au contraire (plus il y a de dispositifs en référence à la psychanalyse, plus celle-ci manifeste sa présence) ; c) la troisième : se démarquer des « cellules d’urgence téléphonique » qui se multiplient dans le même temps, avec toute sorte de psychologies (de la santé, comportementalistes, cognitive, spécialistes du stress) ; d) la quatrième : nous connaissions les services locaux et avions l’impression qu’une proximité réelle pouvait à certains moments compter ; e) la cinquième : il y avait l’idée d’un suivi possible (une analyse ?) pour ceux qui s’en saisiraient.
Les constats sont les mêmes que ceux dont témoignent les participants d’autres « écoutes » : a) peu ou pas d’appel direct de la part des soignants engagés dans les services d’urgence ; b) les appels de soignants qui parviennent directement aux analystes, passent par les canaux habituels et témoignent de gens en quelque sorte déjà « sous transfert », je veux dire, pour lesquels la psychanalyse existe ; c) de nombreux psychanalystes d’autres associations ont demandé à s’associer à notre dispositif : le virus aide sans doute à prendre la mesure que le Discours Analytique franchit les frontières institutionnelles ; d) le dispositif semble apparemment plus efficace pour traiter… notre envie d’être utiles, que ceux pour lesquels la ligne est ouverte ; e) et le non analyste y trouve sa place : d’aucuns ont souhaité participer au secrétariat (pour orienter les appelants : de fait nous avons un numéro d’appel et une liste d’analystes avec le nom de leur ville ainsi que les numéros d’autres « écoutes analytiques » comme FEP, Forums…)…
Devant le peu d’appel, nous avons élargi le dispositif aux personnes souffrant dans le confinement (et pas seulement du).
Sur le plan clinique, sans doute la maladie et l’urgence soignent la névrose de beaucoup, Freud l’avait noté, en fournissant au sujet une raison objective à ses souffrances (pour aller vite). D’où, je crois, ce peu d’appels en général de la part des personnels soignants au front. L’ouverture à « ceux qui souffrent dans » prend acte de ce que nous apprenons d’autres qui, isolés, craquent, passent à l’acte de violences sur leurs proches, décompensent sur le mode qui est le leur (paranoïaque, hypochondriaque, angoisse démesurée…), jusqu’à demander une hospitalisation pour fuir un environnement devenu insupportable. Quelques personnes m’ont ainsi directement contacté de ce fait : et il est en effet particulier d’engager un travail clinique sans s’être rencontré in effigie.
Tous nos analysants actuels n’ont pas consenti au téléphone. Quelques-uns se mettent en vacances (d’autant que le confinement prend place sur celles de Pâques), d’autres suspendent devant un moyen qui leur complique trop les séances. Certains de ceux qui ont d’abord décliné l’offre y viennent ensuite, souvent devant la longueur du confinement. Ceux-là mettent au jour certains aspects de la situation : difficile de s’isoler – sauf à s’enfermer dans sa voiture (et à s’allonger !), sortir dans la rue ou sur le balcon. Peut-on pratiquer l’analyse chez soi (les premiers analystes allaient parfois au domicile des enfants) ? La première semaine il a été nécessaire que je rappelle un certain nombre qui flirtaient avec l’horaire, non pas que je sois un maniaque du cadre, mais parce que les appels finissaient par se chevaucher.
Chez beaucoup, le téléphone a mobilisé leur rapport au corps, mesurant la proximité inhabituelle au psychanalyste, avec des effets qui s’inscrivent dans la dynamique de la cure. Une personne m’a imposé le recours à Skype, caméra ouverte de mon côté seulement à l’ouverture et à la fin de la séance, ce qui restaure une certaine distance. Je ne résiste pas à évoquer cette sorte d’acte manqué qui a conduit quelqu’un devant ma porte à l’heure de son rendez-vous… téléphonique.
L’épisode fonctionne pour d’autres comme un déclencheur. Cela m’évoque la période AZF, à Toulouse, où les personnes qui sollicitaient les « psys » (mais l’épisode avait duré le temps d’une explosion et de la vérification du caractère non pollué de l’atmosphère) parlaient de la façon dont leur vie s’était construite jusque-là (là aussi pour aller vite), mais pas de la catastrophe.
Les écoutants partagent l’avis énoncé par certains soignants : que sans doute ce sera dur pour eux une fois l’afflux aux urgences tari et le confinement passé. Car alors, tout ce qui aura été touché dans « l’extime » au cours de ces jours d’urgence leur apparaîtra sans « écran ». Je ne sais pas si à ce moment-là le dispositif d’écoute conviendra : mais il aura peut-être l’avantage de se présenter comme une offre à partir de laquelle les gens pourront s’orienter (ailleurs). Et peut-être autre chose est-il à penser et à inventer…
Enfin, je crois que nous avons à réfléchir sur la façon dont le sujet se loge dans le social, sur les conséquences de la dégradation que le confinement lui a fait subir, jusque dans cette sorte de novlangue qui fait parler « d’inutilité » à la place de « pénurie », de « distance sociale » quand il s’agit de « distance physique ». Confondre ces « distances » relève de la biopolitique… Impossible d’oublier également la logique du système qui préside à l’impréparation générale (manque de masques, de blouses, de respirateurs, de tests et maintenant de quelques médicaments) malgré les manifestations des soignants les mois qui ont précédé le déclenchement de la pandémie. Mais là, c’est aussi au citoyen de se mobiliser.
Très cordialement à vous, en souhaitant à vous et à chacun, ainsi qu’à votre et leurs entourages (le plus large possible !), de traverser au mieux cette période, tout en pouvant faire face là où l’éthique de la psychanalyse (si je puis dire) nous guide.
Toulouse ce 7 avril 2020
Marie-Jean SAURET
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