Luz ZAPATA /
La psychanalyse comporte en elle-même la nécessité d’une destitution comme condition d’une transformation possible. Chez Freud, cette destitution s’est présentée d’abord comme celle du Moi, qui n’était plus maître dans sa demeure une fois mise en évidence la détermination inconsciente. Puis, Lacan insistera sur la destitution subjective, qui concerne la destitution du sujet de l’inconscient, donc du sujet du fantasme. Cette destitution est concomitante d’une perte, d’une chute de l’objet. Loin de se limiter à la question de la maîtrise, la destitution au cœur de la psychanalyse concerne le passage d’un dedans à un dehors, d’un monde clos à un monde ouvert qui redéfinit les limites.
Qu’est que le dedans, qu’est-ce que le dehors ? Où sont les limites ? Qu’est-ce qui fait bord ? Comment passe-t-on de l’un à l’autre ? Ces questions sont aux origines mêmes de la psychanalyse, Freud les aborde en montrant l’émergence de la « négation », symbole capable d’instaurer à la fois une frontière et un « pont », dessinant d’un côté l’intraitable, de l’autre côté le dicible. L’intraitable et le dit-cible. Quand nous sommes du côté de l’intraitable, pas de mots pour le dire. Quand nous sommes du côté du dicible, « cause toujours ! » Nous parlons sans arriver à dire la cause. Dans cette aporie il y a la marque du sujet, de ce qui du sujet émerge de cette traversée.
L’expérience du confinement nous confronte à une redéfinition du dedans et du dehors. La façon dont nous délimitons notre espace, dont nous définissons notre dehors, ce que nous intégrons ou expulsons, toutes ces choses qui nous rappellent les fondements mêmes de notre capacité de jugement ainsi que notre rapport à la réalité, se trouvent aujourd’hui convoquées par cette contrainte de respecter des nouvelles bornes. Le problème avec les bornes, est que du fait même de leur existence, elles appellent une réponse, elles convoquent les réponses subjectives. Ainsi, nous serions parfois tentés d’aller voir le bord, ce qu’il y a de l’autre côté, en interrogeant parfois : « Mais, qui définit la limite ? Est-ce sûr ? Faut-il vraiment que je m’arrête là ? Cause toujours ! ». La définition du nouveau périmètre de nos déplacements produit les plus diverses réactions, et ces nouvelles limites du dehors nous renvoient à nos limites du dedans. Les bornes sont repoussées pour ainsi dire, resserrées et nous nous sentons comme cernés.
Cette condition d’être cernés, bordés, délimités constitue une occasion de retournement, au sens littéral et figuré : les demi-tours, les détours, les contournements et autres chemins secondaires sont fréquents actuellement, et il arrive parfois que cela tourne à la haute voltige ! La lecture de Jacques Derrida m’a incitée à interroger les pulsions aux temps du confinement, et m’a rappelée que les pulsions se conjuguent : « avoir mal », « faire mal », « se faire du mal », « vouloir du mal », « en vouloir à quelqu’un », la pulsion se conjugue ainsi selon toutes les personnes grammaticales et tous les modes verbaux : actif, passif, transitif, intransitif…
L’enjeu du confinement, c’est finalement de trouver un « au-delà de l’au-delà », un au-delà de la pulsion de mort, qui nous permettrait d’aller vers nos limites intérieures sans en mourir et sans tuer l’autre, de traverser le pont vers l’intraitable et d’en revenir, pour continuer à dire.
Dans États d’âme de la psychanalyse, Jacques Derrida avance que l’analysant, à chaque séance d’analyse, amorcerait une révolution en donnant en lui la parole « à tous ses états, à toutes les voix, à toutes les instances du corps psychique et social multiple. Sans alibi. Après consignation de toutes les doléances, deuils et griefs. En ce sens, et en droit, une psychanalyse devrait être, de part en part, un processus révolutionnaire… »
Ce confinement n’est-il pas une occasion de repenser la pulsion de mort, ainsi que l’articulation nécessaire entre psychanalyse, éthique et politique ? Ce à quoi sommes-nous convoqués aujourd’hui n’est-il pas à repenser les limites et les frontières, et à esquisser ensemble un nouvel horizon ?
Brest, le 5 avril 2020
Luz ZAPATA
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