Marie MOTTE /
Les réseaux sociaux expriment quelque chose du lien social, avec la présence accrue (omnipotente ?) du numérique et ce qui se joue aujourd’hui au niveau des relations à l’autre, quelles qu’elles soient. Ils permettent qu’un certain lien s’organise, via des échanges. La notion d’ « échanges » serait d’ailleurs à questionner d’emblée, au milieu du foisonnement des contenus et de leurs usages, puisqu’on peut poser la question de l’attitude passive de celui qui reçoit un ensemble de messages, images, informations, etc. ; qu’en est-il de la demande à l’Autre lorsque cet Autre devient multitude d’autres, où la parole s’efface dans la communication – et quelle communication !, mais aussi où paradoxalement, l’altérité se délite en arrière-plan et devient Une, celle de « la communauté des internautes ». L’adresse est remplacée, parfois, par de l’affichage, de la présentation (de soi, de son quotidien, de ses activités, etc.). Le retour de cette adresse s’effectue et se matérialise via des commentaires, des mentions « j’aime », de ce qui évincerait le Symbolique pour le remplacer par de l’Imaginaire.
Il est néanmoins aussi question de partage, de trouver en un ou des autres, un semblable supposé comprendre un vécu, des difficultés, des émotions ou un « ras le bol » de cette période de confinement. Ces semblables virtuels sont ainsi l’alternative à l’absence d’abord physique dans la réalité – pouvant réactiver l’absence de l’Autre et ainsi la décomplétude du faire avec le 1 + 1, permettant de véhiculer, peut-être, des monceaux de parole, et par une voie détournée, d’adresser ce qui n’arrive pas à se dire.
On peut penser que dans ce schéma, il y aurait un circuit « ouvert », où l’adresse serait un faisceau d’adresse à des Uns faisant Un, et où le retour ne serait qu’incertain voire aléatoire. Je crois qu’il est à noter tout de même, la valeur d’une tentative de solution que cela implique. En effet, l’être humain étant être de langage, parlêtre, ce qui est habituellement adressé par la parole trouve aujourd’hui une forme d’avènement à travers tout support pouvant être échangé et présent sur écran, ainsi qu’à travers l’écrit. Tout cela mène alors à se demander qu’elle est la valeur signifiante de l’écrit et plus généralement du numérisé, mais aussi de ce qui se trouve interposé d’écran à écran, de ce qui circule dans une temporalité fragmentée.
Si l’on se penche ensuite sur les relations, – aux côtés de l’espoir anticipé de renouer la proximité amicale, les réseaux sociaux résument la situation à leur manière, dans un énoncé : « il y aura un baby-boom après le confinement, et autant de divorces ». Alors comment faire avec le « trop de présence » ou le « pas assez » de l’absence ? Cette question traverse l’invention quotidienne de chacun, dans une tentative de rétablir l’homéostasie connue, ou bien de réaménager les choses. Cependant, il semble y avoir une recrudescence de l’utilisation des réseaux sociaux. Les conseils et offres y abondent, afin de pourvoir en solutions, afin de combler ce qui ne peut se nommer chez chacun, ce qui est parfois soigneusement camouflé derrière l’occupationnel et la toute présence à l’autre dans le lien virtuel. Cela participe-t-il en outre, à bouleverser une « pulsion boomerang » qui oscillerait entre amour et agressivité ? Le faire-lien se tisse dès lors dans la communication et le partage, là où une parole n’est que peu présente, par une actualité où le chiffre accable, par l’attente de l’après-confinement, alors même que le maintenant s’organise et demande à être réinventer à chaque heure. Concerné par ce qui fait « réseau », le téléphone évoque lui, un objet transitionnel pour supporter l’absence et maintenir le lien. Il permet de prendre des nouvelles, d’exprimer un souci pour l’autre, de préserver ce que la rencontre soutenait et ainsi, investir la relation.
Le lien constitue alors une adresse (à sens-unique ?), permanente à l’autre, dans une forme de jouissance où il s’agit de consommer ce qui est dit, écrit, ce qui est sous-entendu. Le principe de réalité exige pour un temps de réaménager le pulsionnel, qui sollicite particulièrement le Moi, quand le principe de plaisir semble pouvoir prendre le dessus ou au contraire, être fortement limité.
Pour exemple, prolifère une offre abondante de films mis à disposition de tous et peuvent ainsi satisfaire – et sinon pallier à l’ennui, la pulsion scopique qui est par ailleurs valorisée aujourd’hui. Néanmoins, cela institue une passivité face à tous ces contenus qui sont reçus et ingurgités, interrogeant quant au devenir pulsionnel et à ses expressions en fin de confinement. Cette question anticipatrice émerge de fait massivement sur les réseaux sociaux, demandant « et vous, que ferez-vous une fois le confinement terminé ? ». Quels seront les impacts de ce temps particulier ? Entraîneront-ils de nouvelles modalités pérennes de modes de décharge pulsionnelle et de jouissance ?
Peut-être faut-il souligner par ailleurs la fuite de la réalité et des angoisses dans le virtuel, dont le jeu en ligne par exemple. Est-ce un recours et une voie d’échappée plus investie actuellement ? Le monde virtuel est alors susceptible de couper le sujet d’une réalité sollicitant particulièrement les angoisses fondamentales, l’écartant de ce qui peut faire intrusion voire effraction dans une forme de protection, mais à quel prix ? Est-ce au prix d’un enfermement plus massif dans l’Imaginaire ?Il y aurait donc une restriction pulsionnelle liée au confinement et à la fois, en cherchant à combler le vide, l’expression d’un trop de jouissance, qui s’exacerberait d’autant plus. Il masquerait aussi la perte d’objet que la marchandisation pouvait combler via une consommation consumante, remplacée par l’approvisionnement des réseaux sociaux, d’une virtualité cherchant à réinjecter l’objet et en satisfaisant autrement la pulsion ; par la toute-présence d’un autrui numérique, virtuel, vocal ou imagé et imaginarisé.
Marie MOTTE
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